Au cœur des traditions culinaires des familles juives d’Oranie, la mouna occupe une place de choix. Cette brioche généreuse et parfumée, au dôme doré et à la mie filante, est bien plus qu’une simple pâtisserie. Elle est le symbole du partage, de la fête et du réconfort, particulièrement attendue à la table de la rupture du jeûne de Kippour, le Grand Pardon. Son histoire, intimement liée à celle de la ville d’Oran en Algérie, est un témoignage de métissages culturels et de transmissions familiales précieusement gardées.
Sommaire
ToggleLa mouna oranaise : une tradition de Kippour
Origines et histoire d’une brioche emblématique
La mouna puise ses racines dans la culture espagnole, et plus précisément dans la mona de Pascua, une brioche de Pâques. Introduite en Oranie par les immigrés espagnols, elle a été adoptée et adaptée par la communauté juive locale qui en a fait l’un des fleurons de sa gastronomie festive. Si elle est confectionnée pour diverses célébrations, elle revêt une importance toute particulière pour Kippour. Sa préparation marque un moment de rassemblement, où les savoir-faire se transmettent de mère en fille, perpétuant un héritage culinaire chargé d’émotions et de souvenirs.
Un symbole de rupture du jeûne
Le jour de Kippour est le jour le plus solennel du calendrier hébraïque, marqué par un jeûne de vingt-cinq heures consacré à l’introspection et à la prière. La rupture de ce jeûne est un moment intense, attendu par toute la famille. La mouna, par sa douceur et sa richesse, incarne le réconfort après l’effort et la privation. Partager sa première tranche, encore tiède, est un rite qui symbolise la fin de l’expiation et le début d’une nouvelle année purifiée, placée sous le signe de la douceur de vivre et de la convivialité retrouvée.
Après avoir exploré ses origines et sa signification, il convient de se pencher sur les éléments qui lui confèrent son goût si caractéristique et inimitable.
Les ingrédients incontournables de la mouna
La base d’une pâte à brioche parfaite
Le secret d’une mouna réussie réside avant tout dans la qualité de ses ingrédients de base. Une farine de blé de type 45 ou 55, riche en gluten, est indispensable pour obtenir une mie aérée et élastique. À cela s’ajoutent des œufs frais, du sucre pour la gourmandise, une matière grasse comme du beurre mou ou de l’huile pour le moelleux, et bien sûr, de la levure de boulanger fraîche pour assurer une pousse optimale. La plupart des recettes traditionnelles utilisent de l’huile, ce qui rend la mouna parve (neutre), pouvant ainsi être consommée avec des produits laitiers ou carnés selon les lois de la cacherout.
Les arômes qui font la différence
Ce qui distingue véritablement la mouna oranaise, c’est son parfum envoûtant. Celui-ci provient d’une combinaison subtile d’arômes qui évoquent le soleil de la Méditerranée. Les principaux acteurs de cette signature olfactive sont :
- Les zestes d’agrumes : principalement l’orange, mais parfois aussi le citron, qui apportent une note fraîche et acidulée.
- L’eau de fleur d’oranger : elle confère à la brioche un parfum floral délicat et très reconnaissable.
- Les notes anisées : certaines familles ajoutent quelques gouttes d’anisette ou des graines d’anis pour une saveur plus complexe et épicée.
Tableau récapitulatif des ingrédients
Voici une proposition de quantités pour réaliser une belle mouna familiale. Ces proportions peuvent bien sûr varier légèrement d’une recette à l’autre.
| Ingrédient | Quantité |
|---|---|
| Farine T45 | 1 kg |
| Sucre en poudre | 200 g |
| Œufs | 4 |
| Huile de tournesol | 150 ml |
| Levure de boulanger fraîche | 40 g |
| Lait ou eau tiède | 200 ml |
| Zestes de 2 oranges non traitées | – |
| Eau de fleur d’oranger | 4 cuillères à soupe |
| Sel fin | 1 cuillère à café |
| Pour la finition | 1 jaune d’œuf et du sucre perlé |
La connaissance des ingrédients est la première étape. Vient ensuite le tour de main, essentiel pour transformer ces éléments en une brioche d’exception.
Les étapes pour réaliser une mouna réussie
Le pétrissage : secret d’une mie filante
Le pétrissage est une étape cruciale qui ne doit pas être négligée. Il permet de développer le réseau glutineux de la pâte, ce qui lui donnera son élasticité et sa texture filante si recherchée. Il faut pétrir la pâte longuement, au moins quinze à vingt minutes à la main ou au robot, jusqu’à ce qu’elle devienne lisse, souple et se détache des parois du bol. Elle doit rester légèrement collante, c’est le gage d’une mie bien hydratée et moelleuse après cuisson.
La pousse : une patience récompensée
La mouna est une brioche qui demande du temps. La patience est la clé. Elle nécessite deux temps de pousse. La première, après le pétrissage, doit permettre à la pâte de doubler de volume. Elle dure environ deux heures dans un endroit tiède et à l’abri des courants d’air. Après avoir dégazé la pâte, on la façonne en une ou plusieurs boules que l’on dépose sur une plaque de cuisson. S’ensuit la seconde pousse, ou apprêt, d’environ une heure, durant laquelle les mounas vont à nouveau gonfler.
La cuisson : l’art de la dorure
Avant d’enfourner, la mouna est badigeonnée d’un mélange de jaune d’œuf et d’un peu de lait ou d’eau pour lui donner une belle couleur dorée et brillante. On la parsème généreusement de sucre en grains. Une incision en croix réalisée au sommet avec des ciseaux juste avant la cuisson n’est pas seulement esthétique : elle aide la brioche à se développer harmonieusement. La cuisson se fait dans un four préchauffé à 180°C pendant environ 30 à 40 minutes, jusqu’à ce que la mouna soit bien dorée et qu’une pique insérée au centre en ressorte sèche.
Une fois la technique maîtrisée, il est possible de personnaliser sa brioche en jouant sur les saveurs pour la rendre encore plus unique.
Astuces pour parfumer votre mouna
Les agrumes : un zeste de fraîcheur
Pour intensifier le goût des agrumes, il est conseillé d’utiliser des fruits biologiques dont on prélèvera finement le zeste, sans la partie blanche amère. On peut également incorporer un peu de jus d’orange fraîchement pressé dans la pâte. Pour varier les plaisirs, le zeste de clémentine ou de cédrat peut apporter une touche d’originalité très agréable.
Les eaux florales et les alcools
L’eau de fleur d’oranger est l’arôme emblématique, mais il ne faut pas hésiter à explorer d’autres pistes. Quelques gouttes d’extrait d’amande amère peuvent renforcer le côté gourmand. Pour les adultes, une cuillère à soupe de rhum ambré ou d’un alcool anisé comme le pastis ou l’arak se marie à merveille avec les agrumes et donne une profondeur de goût supplémentaire à la brioche.
Cette brioche, bien au-delà de ses qualités gustatives, est porteuse d’un sens profond, particulièrement en ce jour de Kippour.
La signification de la mouna pour le jour de Kippour
Plus qu’une simple brioche : un rite familial
La préparation de la mouna est un événement en soi. Elle réunit les générations et cristallise les souvenirs d’enfance. C’est l’odeur des zestes d’orange qui embaume la cuisine, le bruit du robot pétrisseur, les mains des grands-mères qui façonnent la pâte avec une dextérité acquise au fil des ans. Chaque famille a sa propre recette, son secret, son petit « truc » qui la rend unique. Transmettre cette recette, c’est transmettre une part de son histoire et de son identité.
Un symbole de douceur après l’expiation
À l’issue du jeûne le plus strict de l’année, la mouna est le premier aliment doux et sucré que l’on partage. Elle symbolise la douceur de la vie, la joie des retrouvailles et la promesse d’une année nouvelle pleine d’espoir et de bonheur. Sa rondeur évoque la plénitude et le cycle de la vie. Rompre le jeûne avec la mouna, c’est clore un chapitre de repentir pour en ouvrir un nouveau, plus léger et plus doux.
Si la recette de base est bien établie, elle connaît de multiples interprétations qui enrichissent ce patrimoine culinaire.
Variantes et traditions autour de la mouna oranaise
Les formes traditionnelles et leur symbolique
La mouna se présente le plus souvent sous la forme d’un dôme généreux, rappelant une couronne ou une petite montagne. Cette forme simple et rassurante est la plus répandue. Parfois, la pâte est tressée, ce qui n’est pas sans rappeler la hallah, le pain du shabbat. Quelle que soit sa forme, elle est toujours synonyme de générosité et d’abondance.
D’une famille à l’autre : des recettes uniques
Il n’existe pas une seule et unique recette de mouna, mais bien des mounas. Chaque famille garde jalousement ses secrets de fabrication. Les variations peuvent concerner :
- La matière grasse : beurre pour un goût plus riche, huile pour une version parve et une conservation plus longue.
- La quantité de sucre : certaines familles l’aiment très douce, d’autres plus modérément.
- Les arômes : l’ajout de vanille, de cannelle ou de rhum est une signature familiale.
- La texture de la mie : plus ou moins dense, plus ou moins aérée selon la durée du pétrissage et de la pousse.
Cette diversité fait toute la richesse de cette tradition, chaque mouna racontant une histoire différente.
La mouna oranaise est bien plus qu’une recette, c’est un pilier de la mémoire et de la culture judéo-oranaise. Sa préparation et son partage lors de la rupture du jeûne de Kippour en font un symbole puissant de transmission, de convivialité et de douceur. Elle incarne le réconfort après l’effort spirituel et la joie de se retrouver en famille pour commencer une nouvelle année sous les meilleurs auspices.




